Gaston Chaissac rejoue en permanence son expérience,  son histoire et les liens avec ses pairs dans ses recherches picturales et littéraires : la quète d'identité est au coeur de son travail. Mais cette mission  est  portée par le jeu de l'expérimentation, les trouvailles, l'invention permanente et les échanges de "recettes" avec d'autres artistes qui stimulent et donnent la force de continuer dans cette voie.

juil. 3, 2014

Les enjeux dont le « je » est l’objet

 

« C’est  frais, spontané, ludique, l’œuvre de Chaissac », un jeu d’enfant dans l’univers  sérieux de l’espace artistique. En régime vocationnel, la  marginalité   devient singularité, une valeur positive accordée  à quelqu’un qui n’existait pas aux yeux de la société « ordinaire ». Voilà Chaissac investi d’un rôle à jouer, sur cet échiquier géant  où tous les coups sont permis. Son personnage est si bien dessiné dans ce jeu de rôle où chacun a sa place, la cherche, la défend ou la conquiert, qu’il fait le jeu de ses adversaires, ceux dont les enjeux sont  définis. Malgré lui, il devient cet espace, ce défaut de serrage entre les pièces  pour assurer les mouvements mécaniques, il  agit pour les intérêts de ceux qui le mettent en avant.

Chaissac l’éternel singulier n’est jamais relié ou si peu, au monde des artistes dont on entend l’écho à travers son travail, il ne fait pas partie de ce jeu de clefs, il n’en a pas les clefs pour y adhérer.

Chaissac qui n’avait jamais remporté de bataille, ne prend pas la lutte au sérieux mais lutte  contre l’instrumentalisation dont il est l’objet. N’ayant rien à perdre, il joue le jeu, feint la compromission et apprend les règles, la positions des joueurs, les dispositions qu’il faut intérioriser, il acquière très vite, grâce à la posture de chercheur de ses initiateurs  le sens des expérimentations. Les enjeux lui sont d’autant plus insignifiants, qu’il se prend au jeu de la ré-invention : Il digère les mots et les œuvres des écrivains et  des artistes, puis réinterprète, dépasse, avec ses propres outils, ses schémas culturels et sociaux qu’il ne dénie pas, qu’il métisse avec ce qu’il observe. Le Sabir qu’il a souvent évoqué, en vaut la chandelle, il lui permet de continuer à exister.

Aurait-il pu dévouer sa vie à une œuvre construite, évolutive, aurait-il cru à sa mission sans une conscience aiguë des préoccupations artistiques de l’époque ? Si Chaissac tient le cap de cette entreprise qui le suicide à petit feu (à  petit jeu),  c’est qu’il est déjà dans la cour de récréation, c’est à dire de re-création  qui détermine, qui délimite l’espace où les artistes ne sont plus dans un lieu de luttes mais de travail, de confrontation à la matière où les recherches des uns font avancer les autres, où la stimulation prime sur l’affrontement.

Chaissac, le petit artisan valétudinaire n’a pas appris les règles du jeu du champ artistique mais il excelle dans l’observation  et l’attention aux choses, sa sensibilité à l’époque, au matériau,  lui  révèle l’essence de son œuvre qui lui fait appartenir à la communauté de ses pairs. Aux interrogations  des artistes sur le support, le volume, la couleur, sur les limites de ce qu’est une œuvre, sur le dépassement de cette limite, Chaissac répond avec ses propres éléments de recherche,  il lit, il écrit, il écoute, il se laisse imprégner par les mouvements et les orientations artistiques, il donne de lui-même, il fait don de sa vie, sa vie est son œuvre.

Mais pour continuer à créer, il doit jouer serré,  ne pas donner  de prise sur lui, il ne convoite d’ailleurs aucune position de pouvoir, il ne veut pas être à Paris, il ne veut pas briller, à peine vivre de son art. Chaissac veut juste travailler, être reconnu pour son travail, il prend au sérieux son statut d’artiste, trop au sérieux pour être frais, spontané, ludique…

 

Nadia Raison. Sociologue, conférencière.

Catalogue d'exposition Gaston Chaissac, Avignon, 2003.

 



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