Il est intéressant de s’interroger sur la pertinence d’identifier un artiste à un lieu. De quelle manière le territoire influe sur l’homme, a-t-il un impact sur son œuvre ? La question se pose pour Gaston Chaissac dont le travail est directement issu du matériau disponible autour de lui.
Lettre de Chaissac à Camille Chaissac, 1941, collection particulière.
Gaston Chaissac, pendant ses années d’itinérance, a rencontré des hommes de lettres et des artistes, qui l’ont amené à construire une posture, une direction à tenir. Quand il rejoint Camille, sa future épouse en Vendée à l’automne 1942, il a expérimenté les rapports sociaux dans le monde intellectuel, il a assimilé les courants artistiques et élaboré son alphabet pictural qu’il va décliner jusqu’à la fin de sa vie. Il sait qu’il doit tenir la distance pour pouvoir créer tout en maintenant le lien pour continuer d’être stimulé.
De ce pays chouan où Camille enseigne maintenant, Gaston Chaissac se trouve dans un environnement rural familier. Quand la famille s’installe à Boulogne à quelques encablures de la Roche sur Yon, le jeune père de famille tente d’ouvrir un atelier de cordonnerie dans une commune voisine, sans succès.
(Lettre de Chaissac à Bonnenfant, non datée, (1952-1953), collection particulière).
Après la fermeture de l’école publique de Boulogne, Camille est nommée en septembre 1948 à Sainte Florence de l’Oie dans le bocage vendéen. L’animosité s’est sclérosée autour de Chaissac, le mari « improductif » de l’institutrice. Gaston est d’autant plus malmené qu’il n’accepte pas de rentrer dans le jeu de ses détracteurs. Plus il est désigné comme marginal, plus il lui est difficile d’accomplir des actes ordinaires dans la vie ordinaire. En sabot, foulard autour du cou et blouse bleue boquine traditionnelle dont devait être habillé la plupart des paysans, il ne respecte pas la norme vestimentaire attendue. Déambulant en bicyclette les chemins creux du bocage, cueillant des champignons dans la forêt, recherchant des matériaux de rebut pour ses créations ou plantant ses pommes de terre en spirale, chacune de ses activités prend une dimension inquiétante ou farfelue au regard d’une population interloquée, encouragée dans son incompréhension par un contexte local très conservateur. Pourtant, il ne cherche pas à s’isoler, il est demandeur d’échanges avec ses voisins, avec qui il trouve des points de convergence malgré les évidentes distorsions. Les habitants n’ont pas de prise sur l’identité « hors les murs » de Chaissac qui reçoit des visites « parisiennes » et fait l’objet d’articles de journaux. Les mondes parfois s’interpénètrent et accentuent l’incompréhension en mythifiant le « Picasso en sabot ».
Depuis 1945, l’accélération de sa notoriété, la multiplication de ses publications dans des revues de poésie confidentielles, les encouragements de ses interlocuteurs parisiens le font exister en dehors du contexte local où il continue de provoquer des réactions d’hostilité.
En décrivant les comportements de la population, il déplace son statut de bouc-émissaire à celui de révélateur, de témoin distancié d’un monde qui n’a pas de prise sur lui. Il renverse la situation, provoque des émotions qui stimulent sa créativité.
(Lettre de Chaissac à Paulhan, 1951, Centre de Documentation et de Recherche Gaston Chaissac, Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne)
« Un soir de la semaine dernière, j’ai cru voir un Murillo descendre de son cadre, qui, assis contre la bouche d’incendie sur la place de l’église, lisait un roman à l’abri du vent en utilisant un réverbère municipal. C’était en réalité Jean-Claude Sionneau, qui dans cette posture attendait sans doute sa petite sœur à la salle du patronage en répétition. »
(Lettre de Chaissac à Ragon, 2 février 1950, Centre de Documentation et de Recherche Gaston Chaissac, Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne)
Son œuvre protéiforme s’enrichit des rencontres, des expérimentations, elle est inspirée directement par le contexte local, les relations avec la population comme les matériaux. Les croix latines représentées dans ses oeuvres, les pierres trouvées dans le bocage qu’il peint ensuite, les totems dont la matière brute est récupérée à la scierie voisine ou ses chroniques villageoises découlent de la même démarche artistique : Chaissac est un révélateur qui utilise le matériau à disposition, sur place, le réhabilite et le métamorphose.
Mais cette métamorphose aurait pu exister ailleurs, Si l’œuvre nous touche et possède une portée universelle, c’est qu’elle évoque plus qu’un contexte : elle fait écho à une émotion profonde et un lien indéniable avec les recherches artistiques et littéraires de ses contemporains.
Ce sont davantage la stimulation et l’expérimentation qui sont pertinentes que le lieu : L’histoire de l’Art retiendra l’invention, et la sociologie, le contexte.
crédit photo: © Georges Héraut
Le « Cercle Gaston Chaissac » accompagne les projets d’édition et d’exposition autour de l’œuvre de Gaston Chaissac et organise les authentifications. L'association est hébergée au Musée des Sables d’Olonne, le MASC
Gaston Chaissac est un créateur qui se positionne très rapidemment, après ses années d'initiation, en retrait du champ artistique et littéraire où il ne se sent pas à l'aise. Les échanges épistolaires vont lui permettre de s'intégrer sans être désintégrer.
Gaston Chaissac rejoue en permanence son expérience, son histoire et les liens avec ses pairs dans ses recherches picturales et littéraires : la quète d'identité est au coeur de son travail. Mais cette mission est portée par le jeu de l'expérimentation, les trouvailles, l'invention permanente et les échanges de "recettes" avec d'autres artistes qui stimulent et donnent la force de continuer dans cette voie.
Notre objectif en 2014: profiter d'internet pour apporter une information précise et documentée sur Gaston Chaissac, trouver l'outil adapté pour mettre en valeur son oeuvre originale et foisonnante.
Le site gaston-chaissac.org est destiné aux professionnels du champ artistique, aux enseignants et à ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’Art et à ce « peintre rustique moderne » à la croisée du milieu littéraire et artistique du XXe siècle.