Gaston Chaissac arriva en Vendée en 1942. Il y demeura jusqu' à la fin de sa vie en 1964. Mais la dimension géographique n'est pas le moteur de l'oeuvre, même si elle en contextualise les conditions de création.

juil. 22, 2014

Il est intéressant de s’interroger sur la pertinence d’identifier un artiste à un lieu. De quelle manière le territoire influe sur l’homme, a-t-il un impact sur son œuvre ? La question se pose pour Gaston Chaissac dont le travail est directement issu du matériau disponible autour de lui.

 

Gaston Chaissac se définit comme un nomade

 

Lettre de Chaissac à Camille Chaissac, 1941, collection particulière.


Gaston Chaissac, pendant ses années d’itinérance, a rencontré des hommes de lettres et des artistes, qui l’ont amené à construire une posture, une direction à tenir. Quand il rejoint Camille, sa future épouse en Vendée à l’automne 1942, il a expérimenté les rapports sociaux dans le monde intellectuel, il a assimilé les courants artistiques et élaboré son alphabet pictural qu’il  va décliner jusqu’à la fin de sa vie.  Il sait qu’il doit tenir la distance pour pouvoir créer tout en maintenant le lien  pour continuer d’être stimulé.

 

L’expérience vendéenne : une intégration difficile


De ce pays chouan où Camille enseigne maintenant, Gaston Chaissac se trouve  dans un environnement rural familier. Quand la famille s’installe à Boulogne à quelques encablures de la Roche sur Yon, le jeune père de famille tente d’ouvrir un atelier de cordonnerie dans une commune voisine, sans succès.

 


(Lettre de Chaissac à Bonnenfant, non datée, (1952-1953), collection particulière).


Après la fermeture de l’école publique de Boulogne, Camille est nommée en septembre 1948 à Sainte Florence de l’Oie dans le bocage vendéen. L’animosité s’est sclérosée autour de Chaissac, le mari « improductif » de l’institutrice. Gaston est d’autant plus malmené qu’il n’accepte pas de rentrer dans le jeu de ses détracteurs. Plus il est désigné comme marginal, plus il lui est difficile d’accomplir des actes ordinaires dans la vie ordinaire. En sabot, foulard autour du cou et blouse bleue boquine traditionnelle dont devait être habillé la plupart des paysans, il ne respecte pas la norme vestimentaire attendue. Déambulant en bicyclette les chemins creux du bocage, cueillant des champignons dans la forêt, recherchant des matériaux de rebut pour ses créations ou plantant ses pommes de terre en spirale, chacune de ses activités prend une dimension inquiétante ou farfelue au regard d’une population interloquée, encouragée dans son incompréhension par un contexte local très conservateur. Pourtant, il ne cherche pas à s’isoler, il est demandeur d’échanges avec ses voisins, avec qui il trouve des points de convergence malgré les évidentes distorsions. Les habitants n’ont pas de prise sur l’identité « hors les murs » de Chaissac qui reçoit des visites « parisiennes » et fait l’objet d’articles de journaux. Les mondes parfois s’interpénètrent et accentuent l’incompréhension en mythifiant le « Picasso en sabot ».

 


Gaston Chaissac à Sainte-Florence, Vendéevivre et créer en Vendée, exister ailleurs


Depuis 1945, l’accélération de sa notoriété, la multiplication de ses publications dans des revues de poésie confidentielles, les encouragements de ses interlocuteurs parisiens le font exister en dehors du contexte local où il continue de provoquer des  réactions d’hostilité.
En décrivant les comportements de la population, il déplace son statut de bouc-émissaire à celui de révélateur, de témoin distancié d’un monde qui n’a pas de prise sur lui. Il renverse la situation, provoque des émotions qui stimulent sa créativité.

 


(Lettre de Chaissac à Paulhan, 1951, Centre de Documentation et de Recherche Gaston Chaissac, Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne)


Dans les lettres qu’il envoie quotidiennement à ses correspondants à travers la France entière, il décrit l’atmosphère locale comme du matériau brut dont il  fait ses œuvres.


 « Un soir de la semaine dernière, j’ai cru voir un Murillo descendre de son cadre, qui, assis contre la bouche d’incendie sur la place de l’église, lisait un roman à l’abri du vent en utilisant un réverbère municipal. C’était en réalité Jean-Claude Sionneau, qui dans cette posture attendait sans doute sa petite sœur à la salle du patronage en répétition. »

Lettre à Marcel Arland, Chronique de l’ Oie, N.R.F., n° 56, Paris, août 1957, p. 372

Les chroniques de l’Oie, publiées régulièrement dans  la N.N.R.F. à partir de  septembre 1954 sont issues de ses explorations quotidiennes. Chaissac fait de  Boulogne puis de Sainte-Florence son laboratoire d’analyse des comportements humains pour convertir en acte littéraire sa non-intégration.

 

(Lettre de Chaissac à Ragon, 2 février 1950, Centre de Documentation et de Recherche Gaston Chaissac, Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne)

 

C'est en se laissant imprégner par son environnement que Gaston Chaissac constitue sa palette graphique et littéraire

 
Son œuvre protéiforme s’enrichit des rencontres, des expérimentations, elle est inspirée directement par le contexte local, les relations avec la population comme les matériaux. Les croix latines représentées dans ses oeuvres, les pierres  trouvées dans le bocage qu’il peint ensuite, les totems dont la matière brute est récupérée à la scierie voisine ou ses chroniques villageoises découlent de la même démarche artistique : Chaissac est un révélateur qui utilise le matériau à disposition, sur place, le réhabilite et le métamorphose.
Mais cette métamorphose aurait pu exister ailleurs, Si l’œuvre nous touche et possède une portée universelle, c’est qu’elle évoque plus qu’un contexte : elle fait écho à une émotion profonde et un lien indéniable avec les recherches artistiques et littéraires de ses contemporains.
Ce sont davantage la stimulation et l’expérimentation qui sont pertinentes que le lieu : L’histoire de l’Art retiendra l’invention, et la sociologie, le contexte.
 

crédit photo: © Georges Héraut



Positionnement artistique | Publications et expositions | Autour de l'oeuvre


Gaston Chaissac

Site officiel
Pour prendre contact, merci d'utiliser le formulaire de contact.